POEME
LES DEUX AMIS
Deux vrais amis vivaient au Monomotapa :
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre.
Les amis de ce pays là
valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupait au sommeil
et mettait à profit l'absence du soleil,
un de nos amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille ses valets,
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne ; il prend sa bourse et s'arme,
Vient trouver l'autre et dit : Il vous arrive peu
de courir quand on dort, vous me parraissiez homme
à mieux user du temps destiné pour le somme.
N'auriez vous point perdu tout votre argent au jeu ?
en voici ; S'il vous est venu quelque querelle
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point ?
Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point,
Je vous rend grâce de ce zèle ;
Vous m'êtes, en dormant, un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fut vrai, je suis vite accouru,
Ce maudit songe en est la cause.
Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur.
Il vous épargne la pudeur
de les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
quand il s'agit de ceux qu'il aime.
JEAN DE LA FONTAINE