Premier Mai
Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.
Je ne suis pas
en train de parler d'autres choses.
Premier mai ! l'amour gai, triste,
brûlant, jaloux,
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;
L'arbre où j'ai, l'autre automne, écrit une devise,
La redit pour son
compte et croit qu'il l'improvise ;
Les vieux antres pensifs, dont rit le
geai moqueur,
Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en coeur ;
L'atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine
Des déclarations qu'au
Printemps fait la plaine,
Et que l'herbe amoureuse adresse au ciel
charmant.
A chaque pas du jour dans le bleu firmament,
La campagne
éperdue, et toujours plus éprise,
Prodigue les senteurs, et dans la tiède
brise
Envoie au renouveau ses baisers odorants ;
Tous ses bouquets,
azurs, carmins, pourpres, safrans,
Dont l'haleine s'envole en murmurant : Je
t'aime !
Sur le ravin, l'étang, le pré, le sillon même,
Font des taches
partout de toutes les couleurs ;
Et, donnant les parfums, elle a gardé les
fleurs ;
Comme si ses soupirs et ses tendres missives
Au mois de mai, qui
rit dans les branches lascives,
Et tous les billets doux de son amour
bavard,
Avaient laissé leur trace aux pages du buvard !
Les oiseaux dans
les bois, molles voix étouffées,
Chantent des triolets et des rondeaux aux
fées ;
Tout semble confier à l'ombre un doux secret ;
Tout aime, et tout
l'avoue à voix basse ; on dirait
Qu'au nord, au sud brûlant, au couchant, à
l'aurore,
La haie en fleur, le lierre et la source sonore,
Les monts,
les champs, les lacs et les chênes mouvants,
Répètent un quatrain fait par
les quatre vents.
Victor Hugo (1802-1885)